Sanskritam Sukham

Le mythe de l'invasion aryenne et les racines de la civilisation indienne.

 

Compte-rendu

par Dīpa Hélène Marinetti

 

C’est après la lecture d’un livre remarquable que j’ai décidé d’écrire ces quelques lignes, pour contribuer à faire disparaître certaines idées reçues dont nous avons tous été, malgré nous, les porteurs et les victimes.
Ce livre est celui de Michel DANINO, publié en 2006, aux éditions Les Belles Lettres (La voix de l’Inde). Le titre en est :

« L’INDE ET L’INVASION DE NULLE PART
Le dernier repaire du mythe aryen »

Cette enquête lumineuse, très fouillée, bien articulée, écrite dans un style simple et allègre, enrichie de précieuses citations, de cartes et croquis, doit être connue de tout amoureux de la culture indienne.
Comme l’annonce le titre, M. Danino fait le point sur un sujet complexe et controversé, les racines de la civilisation indienne. Il reprend les arguments de la thèse de l’invasion aryenne, qui cherchent à imposer l’idée que la culture védique et sanskrite fut apportée par des envahisseurs venus de l’ouest, les fameux Aryens ou Indo-européens.
Cette théorie dite invasionniste est très bien présentée, puis démolie, point par point.

Il est bon de se mettre au courant avant d’épouser les théories consensuelles.

LE DÉBUT DE L’HISTOIRE

Dans le pays du grand fleuve Indus et des cinq rivières se développa la célèbre civilisation de l’Indus, connue par les grandes cités de Mohenjo Daro (sur l’Indus) et d’Harappa (sur le Ravi), distantes de 700 km, situées au Pakistan actuel.
Ces cités et de nombreuses autres furent découvertes et longuement fouillées par les archéologues dès 1920. Et il y a encore beaucoup à découvrir car les fouilles sont loin d’être achevées ; plus de 2000 sites de ce type ont été identifiés, dont 900 en Inde. Beaucoup sont situés le long du lit asséché d’une immense rivière appelée la Sarasvatī, devenue souterraine vers -2000 avant J.-C. à la suite de bouleversements géologiques. Voir la carte ci-dessus, où sont pointés les grands sites, le long des rivières.

On sait maintenant que cette civilisation indusienne ou harappéenne était très évoluée en matière d’urbanisation, d’industrie, de commerce et navigation. Ses arts et artisanats étaient divers et raffinés, ses installations sanitaires et ses systèmes de distribution des eaux remarquablement organisés.
Les découvertes récentes permettent de faire remonter l’époque de formation de ces cités à -7000 ans avant J.-C. Leur période d’épanouissement est située entre -2600 et -1900 ; à partir de -1900 jusqu’en -1500, ces grandes cités s’éteignirent et disparurent d’une manière mystérieuse, cependant que d’autres villes et villages continuaient d’exister, jusqu’à la période historique.
La cause de cette désertion massive fut probablement la sécheresse, due en partie au détournement et à l’assèchement de certaines rivières, affluents de l’Indus, notamment la Sarasvatī, disparue sous le désert du Thar, encore présente sous forme d’une immense nappe phréatique ou d’un fleuve souterrain.
Cette civilisation brillante disposait d’une écriture qui apparaît surtout sur 3500 sceaux de stéatite finement gravés, sur des tablettes, des poteries.
Le déchiffrement de cette écriture sigillaire est en bonne voie, non sans difficultés toutefois…
L’organisation sociale et politique de ces cités n’est pas encore expliquée, de même que l’absence de tout pouvoir militaire visible, très étonnant pour une société antique. S’agissait-il d’une culture pacifique, égalitaire ?

Les sceaux montrent des scènes de chasse, des cultes et sacrifices, des animaux, des êtres en posture de yoga, des dieux, des représentations et des symboles familiers au Veda, suggérant fortement une culture pré-védique.
Est-ce à dire que cette civilisation indusienne est l’ancêtre de la tradition védique, dans un parfait continuum culturel ?

LES ENVAHISSEURS DE NULLE PART

C’est bien ce que cherchent à contester les tenants de la thèse invasionniste.
Selon ceux-ci, des peuplades nomades, guerrières, venant d’Asie centrale, envahirent le Nord-ouest de la grande Inde de cette époque, détruisant tout sur leur passage, repoussant les habitants vers le Sud, causant la ruine des grandes cités de l’Indus, vers -1500 avant J.-C.
Ces nouveaux venus — venus on ne sait d’où — s’appelant eux-mêmes Aryens (ce mot sanskrit ārya signifie noble, généreux) imposèrent soi-disant une nouvelle culture, composant le Véda, répandant leur langue, le sanskrit, à travers toute l’Inde, fondant vers -800 avant J.-C. la grande civilisation gangétique.
C’est cette version officielle qui est enseignée dans les livres d’histoire — indiens —, c’est cela que nous pouvons lire dans les encyclopédies, les dictionnaires, les revues spécialisées de renom, sans aucune remise en cause.

THÈSE ET ANTITHÈSE

Deux systèmes de pensée s’opposent, depuis longtemps, avec violence quelquefois ; actuellement des enjeux politiques et religieux se manifestent, avec leurs cortèges de mensonges, de manipulations, d’insultes même.
Les « invasionnistes » restent encore très virulents malgré la réfutation massive de leur thèse, qu’apportent l’archéologie, les sciences génétique et anthropologique, la juste interprétation du Veda (lire à ce sujet « Le secret du Véda » de Shri Aurobindo).
Essayons de suivre l’évolution de cette pensée mal fondée, qui s’est répandue partout et se maintient encore, soit par ignorance et négligence, soit par une perversion de l’esprit qui ne veut rien changer aux idées reçues pour des raisons plus ou moins avouables.
Dès le dix-neuvième siècle apparut cette idée de l’invasion du Nord-ouest de l’Inde par des tribus conquérantes, de race blanche, écrasant les peuples indigènes noirs. Appréciez l’aspect racial, raciste, de cette proposition. Il est bien question d’une race aryenne, supérieure, aux traits physiques distincts (blanche de peau, yeux bleus et cheveux blonds), victorieuse avec ses chars et ses chevaux.
Et, comble de tout, ces traits raciaux furent recueillis dans les Veda par des interprétations biaisées, erronées, de savants contre-sens commis par des érudits tout acquis à cette mythique épopée aryenne.
Idée-miroir induite et projetée par la conscience colonisatrice et missionnaire des Européens — des Anglais surtout — débarquant en Inde, tels de modernes Aryens apportant le progrès et une religion décente à ces autochtones arriérés et barbares.

La thèse de l’invasion aryenne atteignit son apogée lors de la découverte des cités de l’Indus. Alors l’idée-miroir de guerre, destruction, changement total de culture s’affirma avec force : une culture aryenne, extérieure à l’Inde, dominatrice, a pris place, s’est développée avec panache, repoussant les autochtones humiliés au Sud du sous-continent.
Une pareille thèse, on le voit, contribue à diviser l’Inde, distinguant les Aryens du nord, de culture védique, sanskrite, et les Dravidiens du sud avec leurs langue et culture soi-disant différentes.
Diviser pour régner, stratégie colonialiste s’il en est.
Mais les preuves apportées par l’archéologie sont irréfutables : on ne trouve aucune trace de guerre, de destruction, de violence, ni même d’équipement guerrier quel qu’il soit dans les fouilles des cités.
L’aspect destructeur de la soi-disant invasion s’effondre nécessairement.
On va alors réajuster l’argumentation en parlant de migrations non violentes, qui arrivent par séries de vagues. Pourtant, les études d’anthropologie et de génétique excluent catégoriquement l’intrusion d’un peuple extérieur entre -4500 et -800 avant J.-C.
Tombe alors avec fracas l’idée de race, de différences, de peuple supérieur, idée dont on connaît les développements ultérieurs, pervers et maléfiques.
Les adeptes de l’invasion aryenne, bien loin de s’incliner, se débattent encore, se réfugiant dans la thèse d’une immigration goutte à goutte de tribus transhumantes afghanes venues s’installer en Inde.
Pourquoi pas ? Les peuples ne cessent de se fréquenter, de s’échanger. Mais cela ne peut justifier pour autant la disparition de la haute culture harappéenne, qui aurait été alors engloutie par le prodigieux bagage indo-aryen de ces nomades accompagnés de leurs chèvres.
Quand on mesure la capacité d’absorption et d’évolution de l’Inde qui, malgré toutes les invasions qu’elle a connues (les Scythes, les Kushans, les Huns, les Moghols, et pour finir, les Anglais), est restée l’Inde éternelle du sanātana dharma, on peut s’amuser de cette soudaine acculturation de la part des Indusiens.
Il devient maintenant impossible de soutenir cette thèse de l’invasion aryenne, pleine de contradictions, d’impasses, de non-sens.
Michel DANINO en fait la magistrale démonstration en la réfutant selon 18 arguments bien étayés qu’il appelle les 18 paradoxes.
Il n’est pas possible de présenter ici tous les points de vue qu’il aborde, concernant le sanskrit, la culture dravidienne, la juste interprétation du Veda, l’importance de la Sarasvatī, rivière-témoin, les polémiques acerbes entre professeurs, érudits et religieux et tant d’autres sujets passionnants.

L’UNITÉ

Le Veda, la langue sanskrite, Essence même de la civilisation indienne, ont bien pris racine sur les rives de l’Indus et de la glorieuse Sarasvatī, que chante souvent le Véda : «  …ambitame nadītame devitame Sarasvatī, toi Sarasvatî, la meilleure des Mères, la plus belle des rivières, la plus belle des déesses ».
La culture harappéenne, indusienne, védique, aryenne, sanskrite et dravidienne est une et seule culture, celle qui éclaire l’humanité depuis l’aube des temps.
« Dhiyo yo nah pracodayāt, qu’elle guide et illumine nos pensées ». TATSAT.

Dīpa