Le mot sanskrit DEVA 1, traduit habituellement par « Dieu, divinité », est formé sur une double racine dīv/dyu, dont le sens général est « briller, illuminer ». Les Deva sont, par essence, des êtres de lumière, des « Rayonnants », investis de forces et de fonctions positives : créer, protéger, maintenir et rétablir l’ordre cosmique, le ritam ou Dharma universel, souvent représenté, d’ailleurs, par le Soleil, Sūrya, « qui jamais ne dévie de sa course ».
Belle image védique, d’une harmonie cosmique immuable mais fragile, projet divin sans cesse menacé par les forces négatives qui cherchent à l’engloutir. La source de lumière, le Soleil, coexiste forcément avec l’Ombre, son épouse discrète. L’Aurore, autre épouse du Soleil sort chaque matin des ténèbres de la nuit, triomphante, précédant le char de Sūrya « aux sept chevaux d’or et à la roue unique. »
Le sanskrit résonne puissamment dans notre langue issue du latin, car ce dernier a bien conservé les structures de l’ancienne langue commune, la souche indo-européenne 2. Une racine-base dei véhicule l’idée de « briller » ; augmentée d’un suffixe dei-wo, elle indique le ciel lumineux, considéré comme une divinité. En sanskrit, nous avons le dérivé deva, dieu, et divya, divin, céleste. Citons le grec proche, dios, et le latin dies,deus, divinus, divinitas, devinare.
Les équivalents français sont Dieu, divin, devin, deviner, divinité, et aussi, dive (bouteille, bien sûr). Un autre aspect de cette racine dei, par permutation de la voyelle en consonne, se trouve sous la forme dy-em, qui est la base commune de nombreux dérivés importants. Le mot sanskrit dyaus, désignant le ciel lumineux, la lumière du jour, en est
issu, de même que jyotis, la lumière, particulièrement spirituelle. En grec, le dérivé de cette racine est Zeus, lumineux souverain du ciel, qui devient en latin Ju-piter, le père des dieux, Ju/jovis au génitif a donné le sympathique mot jovialis (jovial).
Chez nous « jeu-di » est le jour de Jupiter ; étonnamment en ce mot se trouve doublement la racine, car di vient de la base latine dies, le jour. Ainsi se déroulent les jours de la semaine : lun-di, jour de la lune, mar-di, celui de Mars etc. La base dyu se trouve intacte en diurne et un peu transformée dans l’ancien français djour qui s’est simplifié en jour. L’archaïque hui, issu du latin ho-die, se retrouve dans ce « jour hui « ; aussi évitons de dire « au jour d’aujourd’hui », car c’est dire trois fois la même chose. À mi-di, au milieu du jour, c’est le moment d’une petite méri-dienne (sieste provençale) ou de lire le jour-nal quoti-dien.
Il est amusant de constater que la racine dīv est l’inverse de la racine vid, que nous connaissons bien par le latin video, « je vois », et d’où vient le mot Veda. Comme si la lumière d’en haut, celles des Deva, se reflétait dans les sphères d’en bas, sous la forme de la connaissance sacrée que véhicule les Veda, transmise aux hommes pour les aider à traverser l’âge de fer. Comme si les vibrations lumineuses se déversaient sur nous et en nous, en vibrations sonores, matérialisant l’antique Sagesse. Dans le dialogue célèbre d’une Upanishad 3, un disciple demande au Sage Yajnavalkya : « quel est le nombres des dieux ? » Le Maître répond : « Ils sont trente-trois ». Les voici, en bref :
Enumération étonnante, où nous voyons que les dieux représentent des Éléments, des Lois, des Principes, des Qualités. Ils se manifestent sur tous les plans, énergies matérielles, psycho-mentales et spirituelles, sous des formes infiniment variées, grossières ou subtiles.
Nous touchons là à l’essence même de la pensée védique. Ces Êtres de lumière sont en effet multiples, puisqu’ils manifestent tous les aspect et pouvoirs du Principe UN, appelé le Brahman absolu, ou le Tat, le « Cela » qui est Immensité, Ordre et Vérité. Par un phénomène de polarisation qui inscrit la dualité, l’espace et le temps, les conditionnements limitant en noms et formes le monde objectif, la Nature matérielle va dérouler ses orbes, déployer son infinie diversité. Les impulsions créatrices sont l’œuvre des dieux, qui se partagent la tâche immense, se spécialisant dans leurs fonctions et pouvoirs. Ces premiers-nés, ces Fils du ciel, sont totalement consacrés à ce processus de création, de développement et protection, de transformation et destruction. Eux qui n’évoluent pas, car ils ne sont pas sujets au changement, font tourner la roue du Dharma, s’activant sans cesse pour que l’univers et les hommes progressent vers l’accomplissement final.
Leurs exploits guerriers traversent les hymnes védiques, les textes épiques, les récits mythologiques des Purāna, car ils ont fort à faire en ce monde divisé, avide et violent. Inlassablement, les forces antagonistes, Asura et démons de toutes sortes, menacent le fragile équilibre cosmique. Dans la moindre faille, elles s’engouffrent pour semer la destruction. Là où règnent l’inconscience, l’égoïsme, les Fils des Ténèbres introduisent le mal, la souffrance, la mort. Telle est leur fonction ; ils sont une part nécessaire de la Création, et font tourner, à leur façon déviante, la roue du Dharma. N’oublions pas que le Diabolos, le diviseur, est le Prince de ce monde, ce monde qui est « branloire pérenne », comme dit Montaigne.
Pour mener à bien ces combats perpétuels, qui s’accomplissent d’ailleurs souvent sur terre, par hommes interposés et manipulés comme des marionnettes, les Deva doivent renouveler leurs forces en absorbant l’amritam, élixir d’immortalité, l’ambroisie des dieux grecs. Cette nourriture céleste ne peut être obtenue que par les sacrifices, rituels et prières que les hommes font monter vers le ciel, en riches oblations, et vibrants hymnes élogieux. C’est un schéma universel, qui rend compte des efforts de la conscience humaine, aspirant à s’élever au-dessus des contingences matérielles, pour honorer son appartenance à la Lumière. Infrangible intuition, qui pousse l’homme à s’orienter vers le Divin, comme le tournesol vers le soleil.