Sanskritam Sukham

Articles de presse écrits par Dīpa

Cours de sanskrit et philosophie indienne avec en illustration la photo de Dîpa Hélène Marinetti, l'enseignante.
Article de Dîpa paru dans Infos Yoga N° 152 Mai Juin 2025

La Gāyatrī

OṂ bhūr bhuvaḥ svaḥ ।
tat savitur vareṇyam bhargo devasya dhīmahi।
dhiyo yo naḥ pracodayāt ।।
śāntiḥ śāntiḥ śāntiḥ ।।

OṂ Terre (bhūḥ) ! Atmosphère (bhuvaḥ) ! Ciel (svaḥ)
Contemplons (dhīmahi) ce merveilleux (tat.. vareṇyaṃ) éclat (bhargaḥ) du divin Créateur (devasya.. savituḥ). Puisse-t-il guider (yaḥ..pracodayāt) nos (naḥ) pensées (dhiyaḥ) ».
Paix (śāntiḥ) ! Paix ! Paix !
 
Présentation de l’hymne 
    Voici la célèbre Gāyatrī, la prière hindoue par excellence, petit verset extrait du maṇḍala 3 du Ṛgveda, Hymne 62, verset 10, qui termine cette troisième partie du Livre des Hymnes.

    Cet hymne, composé par le grand ṛṣi Viśvāmitra, invoque divers dieux, dont savitā, le Soleil, en son aspect créateur (racine SU/SAV, engendrer). Le verset précédent la gāyatrī est adressé à Puṣan, le Soleil dans sa fonction de « nourrisseur », celui qui fait croître la création.
 
    Les deux versets suivants prient le divin Soleil d’octroyer ses bienfaits aux hommes chargés d’offrandes et de prières, et aux prêtres inspirés et sages qui honorent Savitrī par leurs sacrifices.

   La partie de l’hymne qui a été sélectionnée pour devenir le mantra essentiel de la religion hindoue est donc appelée la sāvitrī ( qui concerne le Soleil savitṛ) ou la gāyatrī (racine GĀ chanter).
 
   Mais ce mot féminin, gāyatrī, a d’autres sens  : il désigne la versification spécifique de cet Hymne, présente dans presque un quart du ṛgveda, composé dans ce moule métrique de 24 syllabes, distribuées en trois (pāda) de 8 syllabes, les deux premiers pāda étant traités comme un hémistiche, séparé du 3ème par une césure (trait vertical simple ou double). Des contraintes de quantité syllabique caractérisent ce mètre védique (chandas).
   
   Enfin, cette formule liturgique, éminemment sacrée, est représentée par une Déesse gāyatrī, symbolisant la poésie, la beauté, décrite avec ses vêtements blancs, ses parures, pure, gracieuse et auspicieuse.

Usages du mantra gāyatrī 
   1/ Ce mantra doit être chanté à des moments précis, déterminés par la position du soleil dans le ciel ; cela correspond à trois jonctions particulières, appelées sandhya, ou périodes de transition : le matin au lever exact du soleil ; à midi, lorsque le soleil se trouve au zénith de sa course, et au coucher du soleil.
 
   La gāyatrī accompagne traditionnellement le rituel de « l’agnihotra », la cérémonie domestique consistant en offrandes (hotra) de grains de riz, de beurre purifié et d’eau au feu sacrificiel (agni), pratiquée par tout hindou, au lever et au coucher du soleil. La puissance du mantra est potentialisée par l’action purificatrice et illuminatrice du feu, et l’ensemble du rite stimule le feu intérieur, la guérison de l’ignorance et l’éveil à la source spirituelle. Le chant du tryambakam (dont nous avons parlé dans le numéro précédent) peut être associé à ce rituel et le rendre encore plus efficace.

   Un passage d’un grand texte, le śatapathabrāhmaṇa, souligne la fonction essentielle de ce rituel :

« lorsqu’on offre l’oblation du matin
(agnihotra) on engendre le soleil qui se fait
lumière et, resplendissant se lève.
Si on arrêtait, il ne se lèverait plus. »
 
   On mesure ici le pouvoir délégué au rituel et au mantra, qui nous fait participer aux grands rythmes cosmiques, sanctifie les énergies intérieures et extérieures, en les imprégnant de lumière et d’harmonie.
La sāvitrī, dont nous avons vu l’importance, est chantée, et souvent à plusieurs reprises, au cours de tous les rituels védiques.

   2/ La gāyatrī peut être pratiquée à tout moment, hors des sandhya, sans être associée à un rituel védique. Elle se présente alors comme un hommage et une prière au divin Soleil (homa), père et créateur des mondes, qu’il engendre et nourrit par sa lumière, et qu’il régénère à chaque instant.
 
   Il est, dans le ciel, le symbole même de l’unité, « lui dont le char n’a qu’une roue » (ekacakraratha), lui qui est appelé « l’œil de Brahman », à la fois transcendant et immanent sur la terre par ses multiples rayons.

   De nombreuses traditions vénèrent à propos le Soleil et ses multiples fonctions bienfaitrices. Pourvoyeur de lumière et de chaleur, il engendre et fait croître la vie.
 
   Mais au-delà de ses bienfaits physiques, il représente la Lumière de la Connaissance, la Vérité Une et transcendante, la Conscience divine, source de l’univers manifesté.

   La pratique de ce mantra, dans la concentration et l’intériorité, avec conscience des valeurs évoquées, est hautement bénéfique, harmonise les énergies, dissout l’égo, établit ouverture, paix, équanimité et plénitude. Un exercice salutaire est de chanter ou psalmodier 108 fois le gāyatrī mantra, en groupe ou seul.

   Une autre pratique est celle du japa, récitation répétée sur un long temps, murmurée ou mieux, récitée intérieurement. Si on s’exerce ainsi assidûment, dans le lâcher-prise, le cœur unifié dans la lumière, le mantra finit par s’installer dans l’être intérieur, et se répète de lui-même sans effort, spontanément. Cette énergie vient illuminer l’être tout entier, libérant la Conscience divine.

   Cette récitation mantrique ou ce japa peuvent être pratiqués avec n’importe quel autre mantra sacré, comme le tryambakam par exemple. Mais on peut affirmer que la gāyatrī constitue un support exceptionnel universel.
Article de Dîpa paru dans Infos Yoga N° 151 Mars Avril 2025

Tryambakam

Le grand mantra vainqueur de la mort

mṛtyuñjayamahāmantra

Tryambakam est l’un des plus importants mantras de la religion et de la spiritualité indienne.

Tryambakam est l’un des plus importants mantras de la religion et de la spiritualité indienne. Il se trouve dans le maṇḍala 7 du ṛgveda, Hymne 59, verset 12, le dernier. Cet Hymne, écrit par le grand ṛṣi Vasiṣṭha, s’adresse en premier aux Marut, les cavaliers de l’orage, associés à Rudra :
« Comme d’aimables compagnons, tels des cygnes au dos noir, enveloppés de nuages, enchaînez dans vos propres liens le méchant qui nous veut du mal … Ô sages et rapides Marut, brillants comme le soleil … ».
Et l’Hymne se termine ainsi :

TRYAMBAKAṂ YAJĀMAHE SUGANDHIṂ
PUṢṬIVARDHANAM।
URVĀRUKAMIVA BANDHANĀN MṚTYOR-
MUKṢĪYA MĀMṚTĀT॥

Sens du mantra

Nous honorons (yajāmahe) celui qui a trois yeux (tri-ambakam), qui est parfumé (su-gandhim), et fait croître tout ce qui existe (puṣṭi-vardhanam).
De même que le concombre (urvārukam iva) est délivré de son lien (bandhanāt), que je sois délivré (mukṣīya) de la mort (mṛtyor), et que je ne sois pas privé de l’immortalité (mā amṛtāt).
Ce mantra sacré rend hommage et demande protection, comme tant d’autres, et montre son but clairement, quoique par le biais d’une analogie assez énigmatique.
Pourquoi est-il appelé « le grand mantra vainqueur de la mort » ?

De Rudra, le Seigneur des larmes, à Śiva le bénéfique :

L’épithète « tryambakam » , celui qui a 3 yeux, nous indique que le dieu invoqué ici est le Rudra védique, qui personnifie « la grande peur », celle de la mort . Son nom même, issu de la racine RUD, signifie le « hurleur » ou « celui qui fait pleurer ».
Dans le Veda, il apparaît comme un dieu puissant et dangereux, habitant des montagnes, vagabond solitaire armé de flèches redoutables. Il dispense le châtiment, prompt à la colère, impliqué activement dans la destruction des ennemis et des malfaisants.
Son nom terrible ne doit pas être prononcé, on le prie souvent avec ces mots  : «  sois bienveillant  » (śivo bhava). Le nom de «  Śiva  » fut attribué ultérieurement au dieu qui hérita des traits rudraïques, devenant le Grand Dieu Souverain (maheśvara), le danseur cosmique (nāṭarāja).
Ce « porteur de trois yeux » est le Maître du ciel, de l’espace intermédiaire et de la terre. Un mythe célèbre raconte qu’il détruisit la triple cité volante des démons-asura, de son troisième œil, l’œil transcendant qui brûle toute chose.
Ces trois yeux sont associés aux trois sources de lumière : le soleil, puissance céleste qui donne la vie, incite la croissance ; la lune, luminaire de l’espace ; le feu terrestre et sacrificiel, qui accompagne l’existence humaine.
Représentant la mort mais aussi le Principe de vie et les énergies vitales (prāṇa), Rudra est le Maître des éléments et de la Nature, particulièrement de la Terre, dont il est l’époux divin. L’odeur (gandha), essence subtile de la Terre, imprègne ce dieu parfumé (sugandhim), soutien de toute vie. Un des noms qui le désignent, Paśupati, atteste cette fonction : il est le Maître du bétail (paśu), de tous les vivants peuplant les mondes dont il est le guide et le protecteur.

De la mort à l’immortalité

Mais ce Rudra sauvage, terreur des ignorants, apparaît au Sage comme le guérisseur, le lumineux médecin des âmes, qui libère de l’égarement et conduit vers son accomplisse-ment celui qui l’honore et le prie avec ferveur.
Alors la comparaison prend tout son sens : de même qu’un concombre (symbolisant le corps) se détache de son lien avec la terre, lorsqu’il arrive à maturité, de même, que je sois délivré des liens (désirs, karma) qui m’emprisonnent dans l’existence matérielle et mondaine, assimilée à la mort. Cette conscience ainsi libérée peut enfin reconnaître sa nature essentielle, lumière éternelle de l’ātman.
Chanter ce mantra nous apaise, dans un lâcher-prise qui transcende le malheur, lorsque viennent à notre rencontre les visages de la souffrance et de la mort.
Une pratique assidue peut engendrer un état de conscience immuable de pure Joie (ānanda), au-delà de l’espace, du temps et de toutes les contingences terrestres. Tel est le devenir divin, l’immortalité promise.

 
Article de Dîpa paru dans Infos Yoga N° 149 Novembre Décembre 2024

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